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    Le blanc et le noir ...avec Eugène Ionesco

     

    Dès ma première pièce de théâtre, je me suis pris à vouloir écrire la tragédie du langage : ce fut comique. Je suis un auteur comique. Un dessinateur naïvement comique. Avec le temps et l’expérience je serais menacé par la tentation du tragique, heureusement ce n’est que du comique. Tout au plus, des formes comiques du mal. Mais c’est bien cela : le mal doit être comique, le mal c’est peut-être le comique, c’est peut-être cela. En somme, c’est la fête, un mât de cocagne avec des lots-surprises accrochés à chaque branche.

     

     

    Ces lots-surprises sont des masques pour les enfants.

     

    Mais tout ce que je dis est double. Les masques eux-mêmes sont généralement horribles, il y a peu de choses qui séparent l’horrible du comique. En fait ils ne sont pas si horribles que cela. La mode est aujourd’hui de donner aux enfants des poupées bien plus horribles que mes masques. Je suis encore dans le débonnaire. Pourquoi donne-t-on aux enfants des monstres-poupées, alors qu’on leur donnait autrefois des poupées aux figures douces et sereines. Je vous laisse donner des explications à ce fait.

     

    Eugène Ionesco, Le blanc et le noir, Gallimard, 1985, p. 44.

     

     

     


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    QUAND LE BLANC... avec Paul Celan

     

    QUAND LE BLANC NOUS EST TOMBé DESSUS, pendant la nuit ;

    quand de la cruche dispensatrice est venu

    plus que de l’eau ;

    quand le genou écorché

    a fait signe à la cloche du sacrifice :

    Va, vole ! –

     

    Alors

    j’étais

    encore entier.

     

    Paul Celan, QUAND LE BLANC..., in "Renverse du souffle", traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre, Seuil, 2003, p. 39.

     

     


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    Le verbe avec Gherasim Luca

     ...

    Tout y est:
    le cou de « couvrir » découvre l’être
    en « fenêtre »
    entr’ouverte
    comme un dé

    la roue et la hache
     Et voilà la Pure-lâcheté-de-s’enfuir-
     précipitamment-
     devant-l’absence-de-danger
     qui recommence:
     Comment -se- délivrer –de -soi-même/commet un délit d’être:
    il livre son corps aux deux m
     et aux deux anses
    qui l’attachent encore à « commence »
    ou plus précisément
     à Comment -se- délivrer -de- soi-même
     mais en tirant des coups de feu
    les coups de l’ex « tout à coup »
     sur tout
     et surtout sur soi-même
     et sur l’Impossible –façon –d’ouvrir-
     tout -à-coup-
     une –fenêtre –sur –la –pure –violence
     qui
    fourrée au centre des cibles
     entre par l’être de la « fenêtre »

    ...

     

     Gherasim Luca, Le verbe, in « Comment s’en sortir sans sortir »,

    Un récital télévisuel réalisé par Raoul Sangla, 1988, DVD, José Corti et Héros-Limite, 2008.

     

     

     

     


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    Dans l'Océan de terre avec Apollinaire

     

    À G. de Chirico

    J’ai bâti une maison au milieu de l’Océan

    Ses fenêtres sont les fleuves qui s’écoulent de mes

    yeux

    Des poulpes grouillent partout où se tiennent les mu-

    railles

    Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner

    aux vitres

                            Maison humide

                            Maison ardente

                            Saison rapide

                            Saison qui chante

                Les avions pondent des œufs

                Attention on va jeter l’ancre

    Attention à l’encre que l’on jette

    Il serait bon que vous vinssiez du ciel

    Le chèvrefeuille du ciel grimpe

    Les poulpes terrestres palpitent

    Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres

    fossoyeurs

    Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs

    pâles

    Autour de la maison il y a cet océan que tu connais

    Et qui ne se repose jamais

     

    Apollinaire, Océan de terre, in Calligrammes,  Œuvres poétiques, Gallimard, La Pléiade,  1965, p. 268.

     

     

     


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    Avec Pierre REVERDY  dans Le chant des morts (1944-1948)

     

    Je voyage percé à la surface

    A la terre pleine de sons

    Au signal qui vole à la trace

    Au gré des signes sans rigueur de la présence

    D’un fil à l’autre

    D’un éclair sans voix

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    La Journée de la langue roumaine (31 août)

     

    Sur les pas du poète Lucian BLAGA 

     

     

    Avec tes clameurs de lumière, avec les yeux sans fond de tes océans,

    avec les traces laissées dans la boue

    par d'innombrables vierges

    tremblant à cet instant

    de désir

    sur ta terre merveilleuse,

    je t'appelle: 

    viens, Univers, 

    viens. 

    Souffle dans mon oreille le murmure des sources,

    où au coeur de la nuit, 

    à l'insu de tous, les raisins

    se détachent de la vigne et se rassemblent

    pour s'emplir de jus,

    et alors — avec ta générosité mortelle

    viens,

    Univers,

    viens. 

    Et rafraîchis

    mon front brûlant

    comme le sable de feu

    que foule lentement, lentement

    un prophète au désert.

     

    Lucian BLAGA, Pasii profetului, Les pas du prophète , Traduction du roumain par Jean Poncet, Jacques André éditeur, 2017, p. 71.


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    Le 31 août 1941 la Poétesse a pris une corde...

    Un

    nœud

    coulant 

    pour celle qui  vivait dans le feu

     

    Dans l'intervalle entre la mort de Rilke et son propre suicide, 

    Marina Tsvetaeva a écrit  ...aux mondes:

     

    ***

    Le poème de l’air 

     

    Vieille chute de la chair

    Selon l'oreille — être esprit

    Pur. Au siècle laissons

    L’alphabet !

    Ouïe pure

    Ou son pur est-ce ainsi

    Que nous avançons ? Avant-son

    Du sommeil. Avant-frisson

    De félicité. Grondement plus tumultueux

    Qu'ondes équinoctiales dans une grotte.

    Que nuque secouée d'épilepsie.

    Que femme au ventre de la femme.

    Grondement certes, mais comparé au

    Tombeau de Pâques, tellement moindre

    Fracas!

    D'une sonorité plus haute

    Que le sonore  — par pause-intervalles

    (...)

               

                            Mai 1927

                            Meudon, à l’heure de Lindbergh

     

    Marina Tsvetaeva, Le poème de l’air, in Insomnie et autres poèmes,

    Édition de Zeno Bianu, Poésie/Gallimard, 2011, p. 189.

     

    (à suivre)

     


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