• weg

       

     

     

    /weg ne peut pas pousser les mots du dedans vers le dehors/    ...avec Michaël Glück

     

     

    Je dis weg pour voir ce nom par lequel il s'est désigné à moi; weg pour voir ou pour me voir, dans ses yeux me voir, quand je prononce son nom. Si je veux me voir dans ses yeux il faut que je tienne sa tête entre mes mains, son visage face au mien. Je fais cela quand je soigne sa tempe.

     

    Parfois je vais sous la table avec lui, malgré la puanteur, fétidité excrémentielle. J'essaie de me convaincre, que je m'habitue à la puanteur. à même le sol, j'étale devant lui son cahier: lignes de w, lignes de e, lignes de g, lignes de weg. Je tourne la page, autres lignes de e, lignes de v, lignes de a, lignes de weg, lignes d'éva. Il ne réagit pas. Il ne réagit plus. L'autre nuit, pourtant, je me suis allongée contre lui, je l'ai pris dans mes bras, il s'est laissé faire, sans un geste pour me repousser. Je l'ai entendu pleurer dans son sommeil. Weg, l'homme, a pleuré dans mes bras, pas l'homme-chien, pas le chien, l'homme. L'homme a pleuré dans mes bras. J'ai compris alors qu'il ne mourrait pas. 

    (p. 69)

     

     

    Virgules sont brin d'herbe vers le ciel de la phrase et points ponctions du souffle, haltes ouvertes au vent qui l'emporte, jamais fermé le point, jamais, pas de point final qui viendrait achever, parachever, parfaire et abolir le grain des mots semés, suspension plutôt car deux points suivent la fausse clôture d'un seul, deux points toujours suivent, sont offrande et vacuité pour la parole qui vient, dire encore autrement que  point est virgule ramassée sur elle-même ou bien oeuf qui la couve, que point est repos de la tête, petite pose, sur la jambe qu'est la virgule et que phrase avance, avance, marche dans le ciel à ras de terre, marche et dire dire phrase est homme qui marche à la lisière, entre ciel et terre marche, une virgule, une autre, un pas plus un pas marche, avance, trace un chemin vers la montagne au loin qui s'évanouit comme un appel intermittent, appel si proche qui s'éloigne pour revenir. Et (bien sûr et, petite copule qui vient conjoindre - malgré la majuscule initiale qui laisserait entendre la venue d'une phrase nouvelle - l'empreinte laissée autant  que l'empreinte à venir) homme marche encore marche, avance, va d'un pas lent, hale le vieux corps vers les lointains qui se dérobent, ne se retourne pas, laisse place derrière lui à l'étreinte des nuits, terre oui, lourde oui, sous les semelles, terre bientôt ensemencée, floraisons oui, pense-t-il, qui qui finiront bien par porter des fruits vers des mains lasses de tuer.

    (p. 365)

     

    Michaël Glück, ciel déchiré, après la pluie, L'amourier, 2019, 372 pages.

     

     

     

    ciel déchiré, après la pluie

     

     

     

    « traduit du silence"Le Pli des leurres" lu par Didier AYRES »

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