• "Premier hymne à la nuit" par Novalis

     

    Mais moi je me tourne vers la Nuit sacrée, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Là-bas gît le monde, au creux d’un profond sépulcre enseveli - vide et solitaire est sa place. Aux cordes du cœur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m’unisse à la cendre ! Lointains du souvenir, vœux de la jeunesse, rêves de l’enfance, de toute une longue vie l’inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s’est couché. Ailleurs, dans d’autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d’allégresse. Pourrait-elle ne retourner jamais vers ses fils qui l’attendent avec la foi de l’innocence ?

    Qu’est-ce donc tout à coup, dans le tréfonds du cœur, qui sourd mystérieusement et dissipe la molle atmosphère de tristesse ? Trouverais-tu toi aussi quelque joie en nous, sombre Nuit ? Que tiens-tu sous ton manteau qui pénètre jusqu’à mon âme avec une souveraine puissance ? Précieux est le baume qui, des pavots en gerbe issu, coule de ta main goutte à goutte ! Les lourdes ailes de l’âme, c’est toi qui délivres leur essor. Obscurément, indiciblement nous nous sentons touchés ; tout saisi de peur et de joie, je vois un visage plein de gravité qui doucement, pieusement sur moi se penche, et sous les boucles à l’infini mêlées, me dévoile la chère jeunesse de la Mère.

    Ah ! que la lumière maintenant me paraît pauvre et puérile, que joyeux et béni le départ du jour ! Ainsi, c’est seulement parce que la Nuit éloigne de toi tes fidèles, que tu semas aux profondeurs de l’espace les sphères étincelantes, pour annoncer ta toute-puissance et ton retour - au temps de ton absence ? Ah ! plus divins que toutes les étoiles éclatantes nous paraissent les yeux sans nombre que la Nuit fit s’ouvrir en nous ! Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces légions infinies. Sans le secours de la lumière, leur regard traverse les profondeurs d’une âme aimante, comblant les régions suprêmes de l’espace d’une indicible volupté.

    Louange à la Reine du monde, à la haute annonciatrice des mondes sacrés, à la gardienne du bienheureux amour ! C’est vers moi qu’elle t’envoie - tendre bien-aimée - cher soleil de la Nuit - maintenant je veille, car je suis tien et mien - tu m’as révélé la Nuit : ma vie - tu m’as fait homme - brûle mon corps au feu spirituel, que devenu léger comme l’air à toi plus profondément je m’unisse et que notre nuit nuptiale dure l’éternité !

    (Extrait du Premier hymne à la nuit traduit par Gustave Roud)

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