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Par Luminitza C.Tigirlas le 26 Avril 2021 à 12:13
alors qu'invisible, je restai à l'arrêt...avec Tomas Tranströmer
Pas de vides nulle part ici.
Merveille que de sentir mon poème qui grandit
alors que je rétrécis.
Il grandit, il prend ma place.
Il m’évince.
Il me jette hors du nid.
Le poème est fini.
(p. 125)
***
Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots
mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens !
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la
neige.
Pas des mots, mais un langage.
(p. 244)
Tomas Tranströmer, Baltiques, Poésie / Gallimard, 2004, traduit du suédois.
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Par Luminitza C.Tigirlas le 20 Février 2021 à 10:09
Lui qui nous regarde de ses yeux sans horizon, il n'est que ce qu'il nous concède dans ce mirage quotidien. Il est ailleurs, dans la nuit, autour de la Terre, en survol permanent. Il est ce que veut bien qu'il soit la Syntaxe: déferlement incessant de météores, de mots fantastiques, de monstres du langage dont la loi se soutient de ces deux grandes figures énigmatiques du Grand-Père et de la Grand-Mère.
Comment progresser vers "lui"? Dans ce désert sans fin, sans pourtour ni centre, sans départ, on risque de ne trouver que soi-même: inconnus lointains, fantômes évanescents, concrétions étranges et quasi inutiles. Il faut passer outre et continuer le chemin. Il est celui d'un domaine où "lui", l'Aimable Jayet, il règne: il est cet espace; sa présence est sensible; elle est compacte, bruissante d'ailes agitées. Il est la "Rumeur".
Comment recueillir l'insaisissable? Tout nous porte à croire qu'il y aune plate-forme, un belvédère qu'il nous faut atteindre pour être au plus proche: l'Oubli.
Jean Oury, Essai sur la création esthétique, Hermann, 2008, p.50.
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Par Luminitza C.Tigirlas le 2 Janvier 2021 à 18:01
Attirée par la langue d'Oc et la Méditerranée, peut-être en égale mesure par les deux, j'ai déménagé en juin 2020 à Montpellier.
Le 30 décembre 2020, jour inondé d'un soleil sans masque, en faisant un tour à Avignon, mes pas m'ont porté dans la cour de la Salle Marceu Bosqui, troubaire et tambourinaire, et là... surprise! -- une plaque m'a rappelé vers mes racines roumaines:
Les archives de la Toile ont bien éclairé ma lanterne
et j'ai eu envie à mon tour de partager avec mes ami(e)s lecteurs du monde
ce que je viens d'apprendre ou réapprendre dans un contexte différent de celui de mon enfance en Moldova orientale.
Frédéric Mistral et le poète roumain Vasile Alecsandri
En mai 1878 se déroulent à Montpellier les premières grandes Fêtes latines organisées dans la mouvance de la renaissance d’oc. Comme pour toute rencontre d’inspiration félibréenne, et dans le souvenir des Jeux floraux du Moyen Âge, un grand concours de poésie est organisé. Cinquante-six poètes de langue latine concourent pour le choix du “Chant du Latin”, destiné à devenir l’hymne identitaire de la latinité. Parmi eux, trois auteurs de langue roumaine enverront des textes, une écrivaine anonyme de Tîrgu-Mures, un certain Romulus Scriban et Vasile Alecsandri.
Le poème d’Alecsandri, Cîntul Gintei Latine - “Chant de la gent latine” - est couronné et largement diffusé dans la presse de l’époque, de Turin à New York en passant par Bogota. Cet honneur montpelliérain rencontre un écho important dans la jeune Roumanie, dont l’indépendance n’a été reconnue qu’un an plus tôt, et qui bénéficie ainsi d’un éclairage mondial. Des liens profonds se tissent dès lors entre les intellectuels roumains et les acteurs de la renaissance d’oc.
Le poète national roumain Vasile Alecsandri et le grand poète de la Provence cherchent tous deux à sauver leur langue par l’invention d’une littérature qui puiserait aux racines populaires de leur pays. À Mircesti comme à Maillane, c’est “aux pâtres et aux gens de la terre” (Mistral), que le poète s’adresse.
"Le nom d'Alecsandri est inscrit dans le ciel des bons génies de Provence, comme il l'est au panthéon des plus pures gloires latines et des immortels fondateurs de la nationalité roumaine"
Lettre de Frédéric Mistral à Pauline Alecsandri, 12 septembre 1890.
A droite : Recueil de poésies roumaines de Vasile Alecsandri, “traduites en vers provençaux” par Alphonse Tavan, 1886.
Au-delà de la relation de profonde amitié qui lie les deux grands poètes, s’ouvre avec les Fêtes latines de Montpellier une décennie de roumanophilie dans les milieux de la renaissance d’oc à laquelle répond l’attachement d’Alecsandri à la culture occitane au point de se nommer lui-même “trobaire d’Orient”. L’amitié roumano-occitane culmine lors des Jeux floraux de 1882 en présence d’Alecsandri, alors président du Sénat roumain. Les félibres vont alors trouver dans la reine de Roumanie, poète sous le nom de Carmen Sylva, l’héritière de la légendaire Clémence Isaure de Toulouse. La reine de Roumanie, à laquelle de nombreux poètes dédient des compositions en langue d’oc, est déclarée Maître des Jeux floraux en 1883.
La Gent latine est la reine
Des nations de l'univers
Son étoile, fixe et sereine,
Scintille au fond des cieux ouverts.
Vers d'immortelles destinées,
Elle marche d'un pas certain,
Versant aux gentes inclinées
Tous les rayons de son matin.
La Gent latine est une vierge
Au charme doux et ravissant ;
L'étranger vers elle converge
Et l'adore en la bénissant.
Belle, vive, joyeuse et fière,
Sous le ciel bleu, dans l'éther pur,
Elle rit dans la lumière,
Et se baigne en des flots d'azur.
La terre à la Gent latine
A tout donné : or, blé, rayons ;
Et, largement, sa main divine
Les répartit aux nations.
Mais, terrible dans sa colère,
Rien n'arrête son bras vengeur,
Lorsque la tyrannie altière
La menace en son honneur.
Lorsque viendra l'heure suprême
Et que Dieu lui demandera :
" Je t 'ai donné le diadème,
Qu'as-tu fait ? " elle répondra,
Ayant à sa droite la Victoire,
A sa gauche la Vérité :
" Sur la terre, pour ta gloire,
Mon dieu, je t'ai représenté. "Vasile Alecsandri, Le chant de la Gent latine, 1878.
http://francais.agonia.net/index.php/poetry/1835436/Le_chant_du_latin
Ce texte a été couronné du premier prix lors du congrès des Félibriges à Montpellier en 1878. Son auteur, Vasile Alecsandri, a été un très bon ami de Frédéric Mistral. En tant qu'homme de culture et sénateur, V. Alecsandri a énormément contribué au renforcement des liens culturels entre la Roumanie et le Sud de la France, entre la Moldavie, sa province natale et la Provence, mettant en valeur l'origine latine commune de nos langues et peuples.
Ce poème et ce commentaire nous ont été transmis par R. Bena, Consul Général de Roumanie à Marseille.https://www.babelio.com/auteur/Vasile-Alecsandri/337947
(Les photos d'Avignon m'appartiennent - Luminitza C. Tigirlas, 30.12.20)
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Par Luminitza C.Tigirlas le 23 Novembre 2020 à 08:00
Paul Celan
Todesfuge Fugue de mort
Lait noir de l’aube nous le buvons le soirle buvons à midi et le matin nous le buvons la nuitnous buvons et buvonsnous creusons dans le ciel une tombe là on n’est pas serréUn homme habite la maison lui joue avec les serpents il écritil écrit quand il va faire noir en Allemagne tes cheveux d’or Margareteécrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiensil siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombeil nous commande allons jouez pour qu’on danseLait noir de l’aube nous te buvons la nuitte buvons le matin puis à midi nous te buvons le soirnous buvons et buvonsUn homme habite la maison lui joue avec les serpents il écritil écrit quand il va faire noir en Allemagne tes cheveux d’or MargareteTes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe là on n’estpas serréIl crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouezil attrape le fer à sa ceinture il le brandit, ses yeux sont bleusenfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danseLait noir de l’aube nous te buvons la nuitte buvons à midi et le matin nous te buvons le soirnous buvons et buvonsun homme habite la maison tes cheveux d’or Margaretetes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpentsIl crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagneil crie plus sombres les archets et votre fumée montera vers le cielvous aurez votre tombe alors dans les nuages là on n’est pas serréLait noir de l’aube nous te buvons la nuitte buvons à midi la mort est un maître d’Allemagnenous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvonsla mort est un maître d’Allemagne son œil est bleuil te touche d’une balle de plomb il ne te manque pasun homme habite la maison tes cheveux d’or Margareteil lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le cielil joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagnetes cheveux d’or Margaretetes cheveux cendre SulamithTraduit par Jean-Pierre Lefebvre"Lettre 51Paris, le 28 juillet 1960Ma chère, chère Nelly!Tu vas mieux -- je sais.Je le sais parce que le mal qui te traque -- qui me traque aussi -- est reparti, a cédé et s'en ai retourné au non-être où il a sa place; parce que je sens et sais qu'il ne peut pas revenir, qu'il s'est dissous en un petit tas de néant.Voilà, maintenant tu es libre, une fois pour toutes.Et -- si tu me permets cette pensée -- moi avec toi, nous tous avec toi.Je t'envoie ici encore quelque chose qui aide contre les petits doutes qui parfois nous assaillent; c'est un morceau d'écorce de platane. On le prend entre le pouce et l'index, le tient bien fort en pensant à quelque chose de bon. Mais -- je ne peux te le taire -- des poèmes, et surtout les tiens, sont d'encore meilleures écorces de platane. Je t'en prie, alors recommence à écrire. Et laisse cela s'acheminer vers nos doigts. Tu sais combien nous -- et pas seulement nous -- en avons besoin.(...)De tout coeurTon Paul"Nelly Sachs -- Paul Celan, Correspondance, Belin, 1999, p. 51-52.Traduit de l'allemand par Mireille Ganselvotre commentaire
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Par Luminitza C.Tigirlas le 7 Avril 2020 à 08:16
impatience de l'absolu ...avec Joë Bousquet
Ma parole est issue de mes pensées et je pleure le temps où elle naissait de mon souffle. Il n'y a plus en moi, comme en élan plus fort que le temps, cette ressource suprême, qui retournait soudain contre elle-même la certitude que j'avais sombré, ce principe de tous les éblouissements, quand mon amour buvait à ma propre fin...
J'aurai souffert du besoin de me donner. Il n'y avait pas une vie assez grande pour absorber la mienne; et je dois en toute hâte m'arracher à ce qui n'est capable de me lier qu'à moitié. Le désespoir serait tout l'horizon de mon amour. La solitude comme une impatience de l'absolu...
Mourir, enfin, à ce que j'aime.
(p. 33.)
Vendredi... Poésie-liberté.
Paroles qu'il faut lire lentement comme si on en déchiffrait la vérité à travers les incertitudes d'une pensée qui se rend enfin maîtresse de l'être. Je ne les ai écrites que pour tenir mon coeur ouvert à celles que toute leur vie sépare de mon amour. Elles sont vraies pour elles comme pour moi... Comme si la vérité de ma nature devait faire le vrai autour d'elle.
J'ai dit : Poésie-liberté.
Je suis, de tous les hommes que l'on peut connaître, le plus étroitement lié. Mon corps est ma prison et ma pensée même me forge des chaînes. Chacun de mes sens pèse d'une façon différente sur l'immobilité qui m'enveloppe. Il est difficile d'imaginer les peines d'un homme que le poids de son corps éveille chaque matin et que, par la suite, chacun de ses désirs écrase sous la masse d'un rocher plus lourd.
Ce qui décuple mon tourment, c'est que la liberté en personne se donne la peine de me l'infliger. Un homme libre, dirai-je pour m'expliquer, n'a pas le moyen de mesurer avec sa liberté celle qui m'a été ravie. Personne ne peut savoir sous quel poids un homme comme moi succombe ce qui manque à sa vie sans issue devient la seule issue de sa pensée. La liberté dont je suis privé a grandi dans mon imagination: elle me ressemble comme une soeur. Si le privilège d'être aimé, c'est avec les couleurs d'un désir intact que ma pensée me représente la créature à qui tant d'infortune me reprend.
Si une telle affliction ne m'a pas réduit au désespoir c'est que ma voix m'est restée.
(p. 92-93.)
Joë Bousquet, traduit du silence, Gallimard, 1968.
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Par Luminitza C.Tigirlas le 1 Mars 2020 à 17:39
Dans le COMA ...avec Pierre Guyotat
Jadis, enfant, lorsque l'Eté résonne et sent et palpite de partout, mon corps en même temps que mon moi commence de s'y circonscrire et donc de le former: le "bonheur" de vivre, d'éprouver, de prévoir déjà, le démembre, tout de ce corps éclate, les neurones vont vers ce qui les sollicite, les zones de sensation se détachent presque en blocs qui se posent aux quatre coins du paysage, aux quatre coins de la Création.
Ou bien, c'est la fusion avec le monde, ma disparition dans tout ce qui me touche, que je vois, et dans tout ce que je ne vois pas encore. Sans doute ne puis-je alors supporter de n'être qu'un seul moi, devant tous ces autres moi et d'être immobile malgré l'effervescence de mes sens, d'être immobile dans cet espace où l'on saute, s'élance, s'envole...
Plutôt mourir (comme peut "mourir" un enfant) que de ne pas être multiple, voire multiple jusqu'à l'infini.
Quelle douleur aussi de ne pouvoir se partager, être, soi, partagé, comme un festin par tout ce qu'on désire manger, par toutes les sensations, par tous les êtres: cette dépouille déchiquetée de petit animal par terre c'est moi... si ce pouvait être moi!
Pierre Guyotat, COMA, Mercure de France, 2006, p. 214-215.
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Par Luminitza C.Tigirlas le 21 Avril 2019 à 08:39
APHORISMES ...du RYTHME ...avec Andreï Tarkovski
PENSER AU RYTHME. Ne pas se laisser diriger par les scènes déjà tournées. Construire le film à l'avance par le rythme, bien avant les prises de vue. C'est exactement cela qui constitue la dramatique d'un film, à la différence d'un texte ou d'une pièce de théâtre.
Lorsque Alexandre met le feu à la maison, il est étendu par terre, le visage contre sol. Il ne sent pas qu'il brûle lui aussi. Qu'il part en fumée.
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Le rythme des dialogues, les silences, la hâte fiévreuse, les interruptions, la prise de parole simultanée de deux personnes, etc.
Se représenter une turgescence ligneuse à la japonaise.
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Représenter le ciel comme quelque chose de silencieux...
Peut-être faudrait-il faire commencer le film par une énigmatique fata Morgana?
Andreï Tarkovski, dans TARKOVSKI, éditions de Corlevour/revue NUNC, 2016, p. 184-185.
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